La question de la vie intime, affective et sexuelle est particulièrement aigue pour les mineurs en situation de handicap, mais également à l’âge adulte. Ce sujet constitue en particulier un moyen de prévenir et de combattre les violences et l’exploitation sexuelle des personnes en situation de handicap quel que soit leur âge. Voici quelques propositions issues des précédents colloques.
Les questions que se posent les personnes en situation de handicap sur leur vie intime, affective, sexuelle et sur leur vie de parent sont semblables à tout un chacun. Cela nécessite d’oser en parler, de trouver les bons interlocuteurs, d’envisager des solutions et de pouvoir les mettre en pratique... Ceci suppose de bonnes conditions et ce, quel que soit la nature du handicap, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les pratiques sexuelles, l’âge de survenue du handicap et pour tous les moments de la vie. Cette démarche nécessite une confiance et une affirmation de soi de la part de la personne. Celle-ci peut s’acquérir grâce à la complicité de l’entourage et l’évolution des acquis dansla société qui aujourd’hui n’offre pas un environnement propice à l’épanouissement du pouvoir de séduction des personnes.
L’approche des sexualités des personnes en situation de handicap ne doit pas être normative et devra être respectueuse de l’ensemble des genres, des identités et des pratiques.
Depuis 2001, l'éducation sexuelle est inscrite dans la loi. L'article L312-16 du Code de l’éducation prévoit qu'une "information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles." Force est de constater que l’éducation à la sexualité est
défaillante pour les jeunes dans ces structures précitées, et encore plus dans les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS), mais aussi pour ceux qui vivent à domicile, comme le révèle l’enquête partagée dans le cadre de la pétition « Enquête sur les séances d’éducation à la sexualité au collège et au lycée #SexEducationNationale ».
On peut noter que la montée des mouvements conservateurs et/ou religieux opposés à toute éducation sexuelle hors cadre parental et leur influence constitue des entraves au bon déroulement de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) (notamment au sein de l’éducation nationale). Cela entraine une dynamique réactionnaire et puritaine qui gêne l’intervention en milieu scolaire des enseignants, comme des associations spécialisées, avec une résonnance politique et sociétale forte. D’autant plus qu’’il y a un manque de formation des personnels de l’éducation nationale, de moyens financiers et humains.
Or, L’EVARS constitue un sujet primordial pour montrer, par exemple, qu’il n’y a pas qu’un seul idéal de corps, pour prévenir les traumatismes et les violences, ou encore pour apprendre le consentement ou l’altérité dès le plus jeune âge. Il faut également penser aux personnes qui doivent “réapprendre” leur sexualité au fil de la vie lors de l’aggravation ou de la survenue du handicap à l’âge adulte.
Les personnes concernées en situation de handicap (enfants comme adultes) revendiquent, les actions suivantes :
▪ Développer l’éducation complète à la sexualité (intimité, consentement, pratiques sexuelles, etc.) dans une approche pédagogique adaptée au type de handicap à l’âge dans le cadre de l’éducation nationale. L’EVARS ne doit pas être une variable d’ajustement au sein des programmes. Cet enseignement est inscrit au programme, cela fait partie d’un cours ! Il est donc obligatoire.
▪ Travailler le développement des politiques d’éducation à la sexualité avec le soutien des centres ressources régionaux INTIMAGIR, via l’Éducation Nationale, en s’appuyant sur les mesures parues à la suite du Grenelle sur les violences conjugales.
▪ Faire intervenir de façon opérationnelle les associations spécialisées dans l’éducation à la sexualité (par exemple : Planning familial, associations LGBT…) dans les lieux d’éducation. Parler du corps et de la différence, des violences, du consentement… à travers par exemple des vignettes vidéos de témoignages lors des séances d’EVARS.
▪ Mettre en place des entretiens individuels et des séances d’informations collectives, des groupes de parole sur des sujets qui touchent à l’intimité, aux émotions, au corps, au plaisir, au désir mais également à la prévention (contraception, IST/VIH, relation aux autres, violence, rapport hommes/femmes…). Le déploiement du dispositif Handigynéco est très intéressant dans ce cadre.
▪ Accompagner au sein des ESMS, les personnes qui souhaitent considérer leur corps différemment. Créer des espaces créatifs et récréatifs dédiés à des expériences sensorielles, sensuelles ou corporelles. La danse contact, la danse thérapie, la photographie, le body painting, l’approche Feldenkrais, ou le théâtre permettent une meilleure expression corporelle, le contact avec l’autre, la réappropriation de son corps, l’expression de ses émotions… Cela apporte un autre regard sur son corps. Cela peut particulièrement aider les personnes dyscommunicantes.
▪ Soutenir le développement de plateformes virtuelles comme Imagina destinée aux personnes en situation de handicap, aux familles et aux professionnels. Ce type d’action communautaire virtuelle « Amours et handicaps » doit monter en puissance notamment pour les personnes qui ne peuvent pas ou n’osent pas se déplacer vers des structures physiques.
▪ Aménager des lieux de vie et d’accompagnement au sein des établissements et services médicosociaux pour garantir le respect d’une vie intime, affective et sexuelle : il est nécessaire de repenser le bâti et les différents espaces à cet effet… Par exemple, garantir que la chambre individuelle soit un lieu d’intimité, rendre possible l’installation d’un lit double, favoriser l’accès à internet...
▪ Sensibiliser les professionnels et les aidants au fait que la situation de handicap et les nécessités de son accompagnement ne doivent pas se faire au détriment d’une vie intime et sexuelle y compris pour les personnes résidant à domicile, celui-ci étant le lieu privé par excellence.
▪ S’assurer que ces questions ne soient l’objet ni d’un tabou, ni d’un malaise pour les professionnels, par crainte par exemple de la réaction de l’entourage familial.
▪ Diffuser une grande enquête nationale auprès des jeunes en situation de handicap, résidant en établissement ou accompagnés à domicile afin de recueillir leurs attentes sur ces sujets.
Nous estimons nécessaire pour traiter avec efficacité l’ensemble de ces propositions d’avoir recours à tous les dispositifs et les outils dont disposent les ESMS (règlement intérieur, charte, référents VIAS, etc.) pour générer un véritable travail collaboratif. Ceci implique de modifier les outils de la loi de 2002.2 car
la vie intime n’y apparait pas toujours clairement en fonction des ESMS.
Agir auprès de l’entourage et des proches
Il nous semble crucial d’accompagner l’entourage familial des personnes en situation de handicap, afin que la question ne soit l’objet ni d’un tabou, ni d’un malaise. Pour cela, il faut veiller à :
▪ Accompagner les proches pour les aider à ajuster leur place et ainsi favoriser l’autonomie et la liberté des personnes dans leurs choix de vie.
▪ Sensibiliser l’entourage afin qu’il respecte les choix de vie de la personne.
▪ Travailler en amont avec les parents et l’entourage de jeunes en situation de handicap pour mieux informer sur les questions de sexualité et de parentalité, notamment sur les dispositifs et les aides possibles.
La place des professionnels : l’importance de la formation et de l’orientation
La formation des professionnels (professionnels de l’éducation nationale, des ESMS, du domicile, du droit commun) qui accompagnent les personnes en situation de handicap dans leur vie intime, affective et sexuelle ainsi que dans leur parentalité, devrait se faire en co-construction et co-animation avec des
personnes ressources concernées, expertes de leurs propres besoins pour cette transmission des connaissances. Cela concerne aussi le milieu médical qui, trop souvent, ne voit le corps que comme un objet de soins et favorise ainsi la déshumanisation du corps.
Pour les professionnels, si leur sensibilisation et leur formation sont incontournables, il faut prévoir également leur accompagnement et leur soutien par des spécialistes, notamment en lien avec les centres
ressources INTIMAGIR, ainsi que leur capacité à savoir réorienter vers les professionnels compétents au regard des attentes des personnes accompagnées et de la limite d’expertise de chacun.
Nous proposons de :
▪ Intégrer des modules de formation spécifiques sur cette thématique au sein des formations initiales et continues des professionnels concernés (sage-femme, gynécologue, TISF, assistante sociale, juge, personnels de l’éducation nationale, protection de l’enfance et de la petite enfance).
▪ Former et impliquer les professionnels des dispositifs de droit commun (MDPH, PMI...).
▪ Formaliser des réunions d’information mais également des séances de régulation et d’échanges de pratiques auprès des professionnels sur les thématiques du handicap et la VIAS afin de désamorcer la charge émotionnelle des professionnels qui pourraient venir parasiter l’accompagnement (en
favorisant un intervenant extérieur à l’établissement). Ceci permettra de lever certains tabous et d’engager les échanges.
▪ Informer les professionnels sur le droit des personnes bénéficiant de la protection juridique pour éviter la négation de leurs droits.
▪ Faciliter les possibilités de rencontre en favorisant la disponibilité des aides humaines (par exemple après 20h).
▪ Adapter le suivi médical de droit commun aux situations de handicap (par exemple Handigynéco).
Agir sur la société
Nous proposons de :
▪ Travailler les représentations de la sexualité, afin de lutter contre une vision performative, figée etnormative de la sexualité notamment à travers l’offre pornographique. Il nous semble important de lutter contre l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne et de les orienter vers
dessiteslégaux pédagogiques. En revanche, afin de garantir les libertés individuelles, il est nécessaire de s’assurer de l’accessibilité de ces sites aux personnes majeures en situation de handicap (accès permis par les ESMS, accessibilité des sites selon le Référentiel Général d’Amélioration de
l’Accessibilité).
▪ Faire évoluer les regards et les mentalités sur la vie intime, affective et sexuelle des personnes en situation de handicap en dépassant les stéréotypes et les préjugés dans les médias et sur les réseaux sociaux. La situation actuelle positionne les personnes en situation de handicap hors de la « norme »
et les empêche de se reconnaitre comme sujet de désir. Pourtant cela pourrait leur permettre notamment pour les jeunes d’identifier et de construire leur pouvoir de séduction, leur capacité à donner comme recevoir du plaisir et prendre conscience de leurs potentialités.
▪ Encourager et générer une diversité des références culturelles (par exemple : livres jeunesse, BD, reportages, films, séries, dessins animés…). Nous souhaitons voir développer une politique culturelle favorisant l’émergence de personnes et de personnages en situation de handicap, notamment autour de la sexualité et de la parentalité.
En conclusion, il apparaît nécessaire de renforcer la capacité des personnes en situation de handicap à exprimer leurs choix et leurs limites. Elles ont en effet souvent pris l’habitude de se laisser faire (ou de se laisser faire par des professionnels ne considérant leur corps que comme un simple objet de soins). Cette question est fondamentale et détermine la capacité à exprimer ou non son consentement.
Le renforcement de cet empowerment doit aussise traduire dans la participation effective de ces personnes au pilotage et à la mise en œuvre des actions.
Il est nécessaire d’articuler sur tous les territoires, les collaborations et les partenariats entre l’éducation nationale, les Centres Ressources INTIMAGIR, les SAPPH, Handigynéco, les ESMS et les lieux de droits communs (PMI, planning familial, hôpital).